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 SGS 2ème Clairière

Je suis Celui Qui Est !

Kam se sépare de ses camarades dès qu’ils arrivent au bas du Mont Chacal. Au lieu de suivre la base du piton dans le sens Ouest, il attaque de front le flanc Est et s’enfonce dans les anfractuosités les plus tourmentées du Mont Chacal. Nul n’avait encore osé affronter ce côté-là de l’antre du Chacal, moins à cause du tabou réputé interdire son accès, qu’en raison des dangers physiques qui dissuadent quiconque, de l’audace d’une escalade. En effet, la pente raide est rompue en escarpements, gorges, cols invisibles et inattendus, qui font du flanc Est un vaste et profond piège de tombeaux ouverts.

Kam, qui n’a ni corde ni clous, ni aucun autre accessoire d’ascension, fouit, telle une taupe, les grimaces schisteuses et crayeuses, pouce après pouce, jusqu’à ce qu’il soit aux abords du cratère éteint. Là, plongeant le regard dans le puits sans fond de la gorge inférieure du piton, il découvre un entortillement de lacets poudreux qui ressortent par le pinacle du Mont Chacal au-dessus de sa tête. Il songe d’abord que le Chacal ne dort pas tout à fait et que ces fumeroles âcres sont des postillons, soumis qu’il est à des ruminations sans fin. Mais il ne faut pas s’attarder sur les lieux.

Où est donc passé le rapace qui a levé les parties du Hogon ? Car celui-là, Kam l’a bien vu. L’assassin n’est pas allé avec les autres et n’a pas pu gagner comme eux le flanc Ouest. Kam en a la certitude ; il l’avait frappé au fuseau et les pierres dont il arme sa fronde sont suffisamment solides pour briser la gueule du Chacal lui-même. Si le rapace reste introuvable, ce serait une catastrophe sans précédent pour les Nomos. Surtout, Kam sait, et c’est Fatoké l’Enchanteur qui le lui a dit, que sans les parties du Hogon, des malheurs pires que ceux que subissent déjà les Nomos s’abattront sur Bandankoro.

Kam baisse à nouveau le regard sur l’abîme mais n’y voit que d’obscures diaprures, présage d’un mauvais souffle qui ne tardera peut-être pas à surgir des entrailles du Chacal. Pris d’une espèce de vertige suicidaire, il laisse glisser son corps le long du minaret, jusqu’à un ombilic au rebord duquel il s’agrippe. Lorsqu’il est sûr de son équilibre, il libère un bras, s’abandonnant dans une obscurité totale. Il attend, les jambes écartées sur le diamètre de l’ombilic, de s’habituer à la nuit du gouffre. Il finit par discerner les contours et les aspérités de ce qui est caché aux Nomos. Les pentes intérieures du Mont Chacal ne sont pas différentes de ce qu’elles offrent à l’extérieur.

Kam entame alors sa descente qui se révèle être encore plus dangereuse qu’il ne l’avait craint ; les roches et les points d’appui sont pour la plupart des éboulis de pouzzolane, de tuf et de verrues calcaires qui s’écrasent sous ses pieds, soulevant des nuages de poussière. A chaque mouvement, il est hanté par l’idée d’être précipité dans le gouffre, emporté par des cataractes de congères foudroyées, tant est glaciale la peur qui l’habite dans cette descente aux enfers. A mi-chemin du sommet et de la base de la crypte sauvage, il confie son âme surgelée au Nomo 7ème et se laisse tomber  pour en finir.

« Où suis-je », se murmure-t-il comme une prière, lorsqu’il lui semble que tout est fini, car il se retrouve tout allongé, apparemment entier, face à une clarté lugubre ; car ce ne peut tout de même pas être celle du jour.

Il a beau écarquiller les yeux, il ne rêve pas. Il est là, tout nimbé d’une lumière cuivrée venant d’une gigantesque boule de feu qui illumine toute la crypte. N’est-il pas dans le royaume du Nomo 7ème ? Ou alors serait-ce l’œil du Chacal qui le scrute ainsi, avant de lui boire le sang, comme il doit le faire avec les vierges qu’on lui immole après chacun de ses vomissements de feu ?

Je suis Kaminou, fils d’Ogotemméli et de Koumba. Je suis le descendant dernier du Nomo 7ème du côté de ma mère qui descend du bras 3e du Maître de la parole…

Mais l’œil du Chacal semble fa’nine, s’affadir, se ternir, à moins que ce ne soit une de ses éclipses soudaines, imitation du  clignotement des yeux vairons du Nomo 7ème,, dont Il ne montre d’ailleurs qu’un à la fois, pour mieux égarer ceux qu’Il a appelés mais pas élus.

.« C’est peut-être le terrible Crépuscule des Temps anciens que chantait un koraliste de la peuplade d’une petite parcelle du monde qui préféra l’engloutissement aux berceuses mortifères de ..

Kanaan réussit à s’arracher au murmure océan de la Conque VishnuVénus de sa mère Koumba.

Voilà, l’œil s’enfonce imperceptiblement dans la muraille Est de la caverne. Kam essaie plusieurs litanies qui restent sans écho, cependant que la montagne semble se refermer sur elle-même dans une nuit totale. Il se dirige alors vers l’œil, titubant dans les entrailles poussiéreuses, jusqu’à ce qu’il trébuche sur quelque chose de mou. Il tâte des doigts du pied ce qu’il n’ose encore croire être un corps. N’est-ce pas le Chacal, fausse divinité frappée de mort subite ?

De violents frissons commencent à tamiser le sang de Kam. Ainsi donc, le Chacal l’attendait, tapis là ? Mais pourquoi ne crache-t-il pas des flammes dont les Anciens disent que sa respiration est faite ? Il frôle encore de ses orteils le corps tiède qui gît là. Il a soudain la certitude qu’il a à faire à un corps couvert de plumes.

Kam est en présence du vautour qui a levé les parties du Hogon !

Comment n’y a-t-il pas pensé plus tôt ! Oubliant sa peur, il se baisse dans l’obscurité, se saisit des serres du rapace et fonce droit, à l’horizon de l’œil qui s’enfonce de plus en plus loin du flanc Est du Mont Chacal.

.. Béni sois-tu, Je suis Celui Qui Est..

(..)

Kam ne sait comment il se retrouve en rase campagne, talonnant le soleil déclinant qu’il avait pris plus tôt pour l’œil du Nomo 7ème ou du Chacal.

« Mais cette voix.. Je suis Celui Qui Est.. »

Cette « Voix » d’outre-tombe fait place à des rumeurs qu’il reconnaît vite, ce qui allège la boule nouée au creux de son estomac ; le rythme de sa marche s’accélère et devient plus allègre. Sous le voile de la nuit qui tombe, se dessinent des ombres qui tressautent sous des ricanements. Les fantômes deviennent des figures familières qu’il peut déjà identifier. Au pied du Père des Pères, les enfants nomos se sont rassemblés. Ils offrent des mines plutôt graves, qui contrastent avec le tumulte gai que Kam avait perçu quelques instants auparavant. Ils ont allumé des feux de camp avec des morceaux d’écorce morts, des carcasses dont les fumerons agonisent en dégageant une senteur de morgue. Ils viennent manifestement de faire une de ces dînettes faites de chenilles, de tiques et d’asticots grillés ou avalés crus. Ils sont là à se curer les dents et à nettoyer les traces de leur bombance, pour être à l’abri des mauvaises pensées des morts-vivants qui gisent dans les niches, et dont le regard envieux est capable à lui seul de damner une âme.

  • - Il est parmi nous, le tire-au-cul aux plumes de vautour, lance Pouli.

Parangon de l’enfant nomo, Pouli est un albinos au cou strumeux et au ventre flatueux, pelé par le béribéri, dont il gratouille les squames flavescentes qu’il jette ensuite comme à regret, dans les flammes.

Les enfants nomos n’ont pas encore, à l’instar des Anciens, découvert le secret du grand secret. Ils portent avec indifférence les stigmates de la pandémie naissante du mal de nomo ; pellagre, scorbut, rachitisme, béribéri, et autres tracasseries du sang d’encre qui hantent cette Parcelle du bout du Monde.

Les gamins s’agitent à la vue de Kam. Ils se ressemblent tous, ces rogatons d’amuse-gueule  du Chacal.

Il y a donc Pouli, Pou de Bois, Kassoumé, sourd-muet, Gueule Tapée et d’autres maladresses du Grand Potier du Monde. Eux seuls arrivent à mettre des noms sur ces rejets de la mort. Le nez camard, n’est pas une caractéristique raciale, ni la peau, couleur de saumure. Ces attributs participent de la grande bouffe où s’invitent les mouches, la lèpre, la fièvre bubonique, sans compter le travail des mites de bois dans cette Parcelle du Monde. Cette peuplade, à défaut de bois ou de toute essence, n’a pas trouvé meilleurs camouflages aux descentes des envahisseurs du ciel, que ces légendes de Cumbite, - don ou échanges gratuits de sang de vierge ; séniles, cannibales et vaines parades aux hurlements  du Chacal.

Chaque enfant nomo est une noria miraculée de détresse, charriant les promesses fœtales de la vie ; bourgeons et calices purulents de phlegmons animés du commun désir de relever le défi de ce grand spectacle plein de bruit et de fureur. Vivantes corolles, infinie variété d’oripeaux dont se pare la vie, cela dépend seulement de la scène, de l’aire de la rose des vents où elle veut bien se donner en spectacle. En cela, les enfants nomos ressemblent à tous les enfants du Système du Monde. Mais à Bandankoro, on ne s’illusionne pas sur une prétendue existence d’autres parcelles du monde. Ici, la rose des vents est un point fixe en bascule sur le cratère béant de la gueule du Chacal. Silicon Valley en surplomb sur le Triangle des Bermudes, dit-on dans une autre parcelle du monde ou comme le murmure ici-même, une Conque de VishnuVénus, mais on le raconte seulement..

  • - Le lion aux griffes de vautour marche toujours seul dans le désert, lance un sagouin qui n’est pas plus haut qu’un pou de bois.

Ils sont joyeux.

Kam s’assoit après avoir déposé son fardeau. A la vue de ce qu’ils croient être un butin, les enfants font cercle autour de lui et se mettent à danser.

Tchi ya ya

Tchi ya ya

Namsa bandit

Nâ kan bora

Ni ma content

Ki kili tchi

Ni ma content

Ki kili tchi pra !

  • - Incroyables galipettes de moignons, gestus simiesque de gôkis dépigmentés, avec couper décaler sur des cous strumeux ! Mobilité réduite ? Pas du tout !
  • - Viens donc danser avec nous, Kam ! lance un faux unijambiste, puisque même manchot, il peut rapper en se tenant sur une face de pseudo-trisomique.

Les rhombes vrombissent et les figures de danse dégénèrent en transes inquiétantes sous le regard vide de Kam. L’hystérie collective devient un ndop, n zar éthiopien, du vodoun, une danse de possession ; mais  les jeunes possédés sont  bientôt gagnés par la lassitude, cependant que l’essaim de gamins se resserre autour du vautour qu’ils tripatouillent. Kam, qui n’a plus de doutes sur les intentions de ses petits camarades, se lève d’un bond et fend le cercle.

  • - Nous allons rendre les parties du Hogon, menace-t-il en se plantant au-dessus du vautour et, sur un ton presque implorant, il ajoute, « les Anciens et tous les Nomos ont besoin du mana du Hogon.. »
  • - Qui se trouve dans une conque de VishnuVénus ! Hi hi ! ha, ha ! s’éclate Pou de Bois.

Les enfants sont soulevés par leurs ricanements.

  • - Kam veut qu’on ramène aux Anciens les miches du Hogon ! lance Pouli l’albinos.
  • - C’est vrai, les Anciens n’ont plus de balloches, alors que ce qui leur reste ne leur sert plus à rien, renchérit Pou de Bois qui bouscule Kam.

Les autres viennent à l’aide de Pou de Bois et se ruent sur Kam. Le vautour disparaît. Pouli s’est fait préposé aux feux. Il a déjà rassemblé des criblures d’os pour rallumer le foyer. Les autres, conduits par Pou de Bois, le petit tracassé de la taille basse, étrillent le vautour, tout en faisant mine de chercher quelque chose ; ils farfouillent le rapace dans les moindres plis de ses organes qu’ils finissent par brouiller dans un pripra cru et sanglant.

  • - Non, les kotès du Hogon sont introuvables, dit Pou de Bois faussement désolé.

Le petit tripier, qui n’est pas plus haut que le bonnet qu’il vient d’évider, tend la peau flasque qui passe de main en main, jusqu’à Kam, qui se détourne.

Kam est le plus solide de la classe d’âge. Il lui suffit de brandir le poing pour disperser les gamins et réduire à néant leurs prétentions. Mais il n’en fait rien et va pluôt s’asseoir sur une racine morte et les laisse faire. Un doux fumet commence à embaumer l’air. Les enfants s’accroupissent autour du foyer, silencieux. Mais un incident tragi-comique met fin à l’attente. Pouli, le cuistot improvisé, a tant salivé en tournant et retournant le rôti, qu’il ne trouve pas d’autre moyen de se soulager d’un prurit interne et de la tension fébrile qui l’agitent, que de relâcher ses sphincters et sa vessie, dont le contenu se répand en jets écumants et pisseux sur les flammes qui chavirent. Le rôti, tout jutant de son assaisonnement, est tiré de la broche. Le rituel éclate en Bamboula. Kam boude le gésier qu’on lui tend, sans ironie cette fois. Il se lève. Un autre garçon, sans âge, qui semble bouder le festin, se lève.

Brusquement, il s’élève très haut dans les airs, tournoie en trois spires, puis, atterrit sur la tête en faisant un époustouflant couper-mouler ; par cette prodigieuse accrobatie de nyamakala, le gamin met en branle-bas les bambochards et leurs parts du vautour, avant de se remettre sur ses petits pieds.

  • - Je viens avec toi Kam, et vous, tas de junkies, vous êtes indignes de la callera! »

Ils font quelques pas et Kam, tout à fait sérieux, demande à son jeune comapagnon, « dis-moi Kannan, tu as trouvé un autre bissac on dirait, mais c’est quoi la.. »

  • - La racaille.

(…)

NB : SGS, droits réservés, reproduction interdite

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