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A propos de "Dis-moi pour qui j'existe", de Abdourahman A. Waberi

En cette rentrée littéraire d’automne 2022, Abdourahman A. Waberi publie un treizième récit où, ici, fiction et biographie s’entremêlent. Intitulé Dis-moi pour qui j’existe ? — un titre qu’il emprunte à une parole d’une chanson de Joe Dassin Et si tu n’existais pas. L’influence du musicien sur l’écrivain djiboutien, si tant est qu’on puisse en voir une dans le choix-ci, s’arrête là : Abdourahman A. Waberi nous pond une histoire, bien en dehors de l’évocation d’une quelconque muse, dont il se serait pâmé d’admiration. L’héroïne est ici la correspondance même entre un père et sa fille.

 Comme son précédent roman Pourquoi tu danses quand tu marches, le sujet de ce roman épistolaire est nourri d’autobiographie sans l’affirmer d’emblée : il met en scène deux personnages, une fille, Béa, et son père, nommé Aden Robleh, enseignant à l’Université George Washington aux Etats Unis. À cause de l’hospitalisation de Béa à Paris, diagnostiquée d’une maladie auto-immune, ils se retrouvent obligés de vivre coupés — physiquement s’entend — l’un de l’autre, sur deux continents différents. Face à cette distance, père et fille trouvent des moyens de garder le contact et de se donner les nouvelles l’un de l’autre. Alors, ils se parlent au téléphone, s’écrivent régulièrement des lettres. Mais, peu à peu, chez le père, la tentation de faire part de son passé croît. Il se livre, se raconte, plonge dans son enfance djiboutienne, révélant son intimité, sa singularité, mais là, alors, les traits communs avec sa fille et ce qu’elle traverse. Plus jeune, en effet, il souffrit, lui aussi, d’une maladie qui transforma son quotidien et bien plus encore, comme le même narrateur l’a conté dans Et pourquoi tu danses quand tu marches ?.

L’écriture comme thérapie
On aurait pu s’attendre à lire une histoire triste, à faire pleurer, où les protagonistes s’apitoient sur leur sort, se le ressassent à l’envi. Mais, loin de là, il n’est que bonne humeur dans ce roman : les échanges entre Aden et sa fille, sont moins des occasions de s’alarmer, de se plaindre, de regretter leurs vies, que celles de se voler des sourires, de se témoigner leur amour de l’un pour l’autre. Le climat y est si agréable qu’ils semblent encore plus forts dans le malheur : des êtres coriaces.

L’écriture en est pour grand-chose dans ce tour de force du père et de la fille. Elle leur offre un espace pour se libérer des pesanteurs, agissant comme un remède, un secours, encore plus pour le narrateur dont l’amour pour les livres, auquel il doit ce qu’il est devenu, adulte, vient de ce qu’il a enduré durant son enfance. Dans la lecture, il trouve un refuge, dont il ne sortira plus jamais. D’abord via l’exercice de son métier d’enseignant, puis pour se soulager des sentiments qui pourraient polluer sa joie de vivre. Ainsi, par moments, il s’autorise à des réflexions, regroupées dans des notes : sur la société américaine contemporaine, sur la science médicale, etc…

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Hommage au corps médical
Si dans ce roman, les personnages les plus en vue sont Béa et son père, il y en a d’autres, en l’occurrence la mère de Béa, surtout, Dr Mauricette Keller, la médecin qui s’occupe d’elle. A travers cette dernière, l’auteur rend hommage au corps médical. Quoique brève, leur correspondance lui donne une certaine humanité. Partout, il y a de la sagesse. L’écriture de ce récit, deuxième volet d’un dyptique intime commencé avec Pourquoi tu danses quand tu marches ?, semble n’y avoir guère échappé. Elle pourrait déplaire à ceux qui sont en quête de sensationnel ou d’émotions fortes. Mais c’est un constat qu’il convient de tempérer, dans la mesure où il est commun aux précédents romans de l’auteur ? Est-ce là un choix d’écriture ? Ou une voie/voix propre à lui pour dire les choses ? Jusque-là, en effet, il aura développé une œuvre très intime, où il se met à nu, même quand il parle des autres. Il y a toujours son ombre qui court derrière ses personnages, comme avec entêtement, souvent aux prises avec les questions transfrontalières, les limites de la modernité, révélant alors ce qu’il y a de faux dans l’antienne que le monde est un village planétaire.

 SNBpour www.nrgui.fr

Source ; africultures

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